Commençons par quelques explications : "Journalisme gonzo"

Je vous vois venir bande de vicieux, que tout ceux qui ont pensé "du journalisme pornographique" sortent du rang. Ça porte le même nom mais ça ne vas pas plus loin.

Selon cette saloperie de Wikipédia : Gonzo (de l'argot (slang) irlandais du Sud de Boston) décrit le dernier homme debout après un marathon alcoolisé

C'est donc un type de journalisme qui se démarque sur sa collecte d'information. Le concept est simple pour pouvoir critiquer il ne suffit pas d'observer votre sujet, il faut se mettre à sa place et vivre l'expérience du sujet. Là où un journaliste classique pourrait écrire " dans le pub X de Glasgow s'est déroulé un marathon alcoolisé" le journaliste gonzo écrira "j'étais au pub X pour le marathon alcoolisé, en tant que poivrot invétéré je me suis lancé dans l'aventure. Le chalenge n'était pas bien haut, j'en tiens pour preuve : votre serviteur l'a emporté ". Du fait de l'expérience le récit est à la première personne et introduit un jugement de valeur. A ce moment là ce n'est plus du journalisme me direz vous ; si car le journaliste se livre lui même à travers ses articles afin de permettre au lecteur de comprendre la réalité première transformée par son récit. En gros "il est impossible de produire une objectivité parfaite, donc j'assume les déformations  de ma vision du monde tout en expliquant ces déformation pour permettre à votre esprit critique de corriger le récit afin apercevoir la réalité des faits." 

Parmi les fers de lances de ce procédé journalistique, le plus connu est Hunter S. Thompson pour son livre Hell's Angels qui décrit sa plongée dans l'univers la célèbre bande de motards. Pongée dont il ne ressortira pas indemne, ça se terminera à l'hôpital.  Mais aussi et pour Fear and Loathing: On the Campaign Trail '72  et surtout pour Fear and Loathing: In  Las Vegas qui sera adapté au cinéma  par Terry Gilliam,  (Las Vegas Parano en France). Raoul Duke interprété par Johnny Depp  est donc directement inspiré par Thompson.

                                  

Bon tout ceci est bien gentil mais c'est d'un comics dont il est question ! Et justement le personnage principal de ce comics est lui aussi très largement inspiré de Hunter S. Thompson. Que ce soit au niveau du physique ou du comportement tout chez Spider Jerusalem ressemble ni plus ni moins qu'à une caricature du journaliste : il est violent, abuse de l'alcool et de toutes sortes de drogues et surtout possède un sens critique très aiguisé.   


Mais dans tout ça de quoi ça parle?


Le principe est on ne peut plus simple : placez le journaliste le plus irrévérencieux du vingtième siècle dans un monde futuriste cyber-punk créé sur mesure pour qu'il puisse se défouler à sa guise et vous obtiendrez Transmetropolitan. Tout simplement jouissif !

Après 5 ans d'absence reclus à la montagne Spider Jerusalem est contraint par le contrat qui le lie à son éditeur de revenir en ville afin de publier deux livres. Pour survivre lors de ce nouveau départ il reprend à travailler pour le magazine "The Word" en écrivant des articles incendiaires selon sa méthode d'investigation préférée. Des sujet d'enquêtes, il n'en manque pas, le monde dans lequel il évolue est une projection dans le futur des États Unis d'Amérique, avec son lot d'avancées technologiques et médicales. Un monde où des machines nommées "faiseurs" sont capables, à partir de bloc de matière basique, d'agir au niveau atomique afin de fabriquer n'importe quoi : nourriture, vêtement, drogue... Un monde où le corps humain peut être remplacé lorsqu'il est défaillant (à condition d'avoir de l'argent bien sûr), où les greffes animales temporaire sont un passe temps courant. Un monde où il est possible d'échanger son génome avec une espèce extraterrestre.

Cependant, l'univers qui nous est proposé oscille constamment entre cette utopie et le trash dû aux problèmes éthiques engendrés par cet apparent progrès. Ainsi le clonage est monnaie courante, la vidéo surveillance est omniprésente. La télévision diffuse des bombes publicitaires qui par hypnose forcent leurs victimes à rêver de publicité toute la nuit. La pornographie est joyeusement mêlée aux programmes pour enfants. La vie et le corps humain sont totalement désacralisés. La nourriture est produite par clonage ce qui permet des extravagances sordides : viande de koala, yeux de bébé phoques pied humain frit et autres bizarreries. Même sur le plan social cette "utopie" est mise à mal. Fidèle au modèle américain où l'individualisme est roi, la violence y est totalement banalisée et les médias y prennent de plus en plus de place. Les inégalités sont tellement grandes que les États Unis d'Amérique est le dernier pays de la planète à avoir conservé les maladies dût à l'extrême pauvreté : carence, gale, malnutrition et cetera...

Tout cela parait grotesque mais en y regardant plus près apparait une critique plutôt fine nos sociétés actuelles et de la pente douce sur la quelle elles dérapent.

Bien sûr Spider n'hésite pas a dénoncer tout cela et se fait un devoir d'aller bousculer, à coup de "testicules d'assaut" ceux qui détiennent le pouvoir de faire évoluer les choses.


Tout ceci n'est pas sans risques.


Malheureusement lorsque qu'on se frotte aux puissants afin de les trainer dans la boue on se fait vite des ennemis de taille. Tout comme  Hunter S. Thompson qui a couvert la campagne entre McGovern et Nixon, Spider s'occupe de politique. L'histoire principale du comics débute lors de l'affrontement entre le président sortant et un candidat  du parti du sourire pour les élections présidentielle américaines. Spider fait feu de tout bois sur les deux camps. "Entre La bête et le fou il est préférable d'élire la bête, il nous restera une petite chance de le contrôler". Il use de désobéissance civile et va jusqu'à s'en prendre physiquement  au président.
Il va sans dire qu'il se met rapidement la police et les services secrets à dos et l'absence de séparation des pouvoirs n'arrange rien à l'affaire. Jérusalem n'aime pas vraiment les uniformes. Et ils lui rendent bien. La violence étant omniprésente ces derniers n'hésitent pas à ouvrir le feu sur des civils, ou à les massacrer à coup de matraques de masses-d'armes.
Passage à tabac, tentative d'assassinat de tout poil, notre journaliste a décidément une vie bien agitée.



Cependant le vrai danger vient de Spider Jérusalem lui-même:

D'une part il consomme une quantité phénoménale de psychotropes en tous genre. Suffisamment pour faire des black-out à répétition. Ses deux "sordides assistantes" envoyées par son rédacteur servent d'ailleurs plus à prendre le relai lorsqu'il reste sur le carreau qu'a remplir leur rôle premier d'assistante et de garde du corps. La seule solution envisagée par Spider pour régler le problème est de prendre encore plus de drogue pour tenir le coup.


D'autre part la psychologie du personnage elle aussi est autodestructrice. Si sa chronique dans le magazine  "The Word" s'appelle Laissez moi partir ce n'est pas pour rien ; il a besoin d'une relation bien particulière avec ses lecteurs. Afin de pouvoir aisément les mépriser de n'avoir pas compris d'eux mêmes les horreurs qu'il dénonce il est préférable de ne pas trop être aimé de son lectorat. Or ce même auditoire a naturellement tendance apprécier celui qui lui a ouvert les yeux. Spider Jérusalem vit donc sa popularité comme un poison ou un piège dont il serait prisonnier. Il s'est déjà enfui une fois dans une montagne reculée car il devenait trop populaire et nourrissait trop d'attentes de ses lecteurs. Il dit lui même: "Les gens me disent toujours : "Tu fais du bon travail , Spider tu changes les choses, Spider." Et c'est des conneries. Je ne change rien, putain.  Je suis un auteur. Un journaliste. Je ne peux rien changer. Ce que je fais, c'est vous donner des outils pour comprendre le monde, pour que vous changiez les choses. Et je suis coincé ici à espérer que ça arrive un jour. "


Warren Ellis réussit le tour de force  de nous offrir un comics qui reste haletant alors que la fin semble tout désignée. Le personnage principal a mis plein gaz droit sur un mur. Qu'est-ce qui nous tient en haleine?  Tout simplement en laissant la question "A quel point tout cela va-t-il pouvoir dégénérer ?" totalement ouverte.

Il ne me reste plus qu'a vous parler de la réalisation :


Une bonne partie du comics est présenté sous la forme de bouts d'articles de spider ou des extrait de ses romans incrustés dans une illustration en pleine page. Les phylactères sont donc absents, ce qui laisse tout le temps de se plonger dans l'univers graphique de Darick Robertson. Les dessin sont très beaux, très colorés, fourmillent de détails et comptent surement encore bien plus de références que toutes celle que j'ai pu repérer. Le tome 6 donne l'occasion de découvrir l'interprétation du même univers vu par des dessinateurs différents dans le même exercice de la pleine page. Ça donne un jeu amusant pour la plus part, genre Où est Charlie avec des détails trash.  
Dans le reste de l'histoire nos chères "bulles" reprennent du service pour nous replacer au temps du récit. Les détail et références sont moindres mais ne sont pas absents pour autant. Ces passages font la part belle à l'action. Et de l'action il n'en manque pas. Entre les expéditions punitives contre les fanatiques religieux et les déboires avec les forces de l'ordre, Transmetropolitan n'usurpe pas une seconde son logo "Pour lecteurs avertis".

Une bande dessinée déganté avec un super univers graphique, une bonne dose d'action et un univers pertinent et intelligent qui arrive à vous tenir en haleine jusqu'au bout. Je vous laisse découvrir par vous même la fin. Personnellement je l'adore! Que demander de plus ? C'est pour l'instant ce que j'ai pu lire de mieux en comics. (Bon d'accord je ne suis pas une référence en la matière)
Transmetropolitan fait partie de mes trois œuvres préférées concernant le neuvième art. Seul le prix du tome peut être un frein a l'achat de cette bombe : 29 € le tome, Panini n'y vas pas avec le dos de la cuillère... Toutefois je ne regrette en aucune manière cette investissement.

Au delà mes délire mégalo-maniaque de juge du bon gout universel, Waren Ellis, au travers de son personnage a le mérite de nous balancer un magistral "Mais putain, réfléchissez bande de cons !" dont les lecteurs /auditeurs / téléspectateurs actuels ont manifestement bien besoin au vu du niveau intellectuel de plus en plus bas des médias et de nos systèmes politiques. Et ça, putain, ça fait du bien ! Un titre à posséder absolument.